Les facteurs français anciens

"C'est un grand avantage à un joueur de Flute, quand il sait en faire lui-même,

ou qu'il peut au moins les accorder."
                                                            Jean-Jacques QUANTZ
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Cette page est directement inspirée du chapitre IV de la thèse de musicologie de Laurence Pottier, qui m'a très gentiment envoyé son travail. Qu'elle en soit ici chaleureusement remerciée.


Introduction

 La facture instrumentale est très importante, car elle permet de connaître la manière dont étaient fabriqués les instruments et leur popularité. Toutefois, comme de nombreuses études sur les instruments de la Renaissance le confirment, l'absence d'originaux ne prouve pas qu'ils n'aient pas existé. Pour l'époque baroque, le problème ne se pose pas réellement , puisque de nombreux instruments ont été conservés.
 La transformation de la perce cylindrique ou cylindro-conique en perce conique inverse, et le lieu où elle s'effectua, restent encore un mystère. Vraisemblablement, ce changement n'est pas dû à un seul pays, mais à plusieurs. Déjà, au début du XVIIe siècle, Praetorius suggère  la découpe de la flûte pour pouvoir l'accorder plus aisément. Il restait ensuite à travailler l'instrument de l'intérieur avec des bois plus résistants, pour donner un son plus homogène et faciliter les doigtés. Pourquoi un tel changement ? Tout d'abord parce que la vocation du facteur et du luthier est avant tout d'améliorer sans cesse ses modèles et, ensuite, pour permettre une plus grande adéquation entre la musique composée (qui évolue également) et les instruments.



Les principaux facteurs de flûte à bec français

 Les premiers "faiseurs d'instruments"  appartenant à la communauté des tourneurs de bâtons de chaises, apparaissent au XVIe siècle. Ainsi Mathurin ou Mathelin ou Mathieu de la Noue exerce son art de "faiseur d'instruments", "fleustier" ou "floteur" à Lyon de 1518 à 1538 . En 1543, il s'installe à Paris, rue de la Mégisserie, où il meurt un an après. Son inventaire après décès, daté du 11 Août 1544, cite parmi les flûtes d'allemands, les fifres, les chalumeaux et les hautbois :  Etienne Loré, mort le 11 Décembre 1553, était lui aussi "faiseur d'instruments" à vent, comme l'atteste également son inventaire après décès :  Mais le plus connu est sans doute Claude Rafi, "fleustier" lyonnais, dont Marot vante les mérites dans l'Eglogue sur Madame Loyse de Savoye, mère du Roy François 1e de ce nom, morte en 1531 :  Fils de Michau Raffin, floteur, qui estoit au costé devers le Rosne , Claude n'apparaît qu'en 1515 dans les archives de la ville de Lyon comme "fleutier". Seule, sa date de décès, le 8 Avril 1553, est connue. Il reste actuellement quelques instruments originaux de ce facteur, notamment une flûte à bec ténor conservée à Bruges, une autre dans la collection du Bachhaus à Eisenach, ainsi qu'un ténor et une petite basse à l'Accademia Filarmonica de Bologne.


Les XVIIe et le XVIIIe siècles sont plus riches en facteurs de flûtes à bec que le XVIe, comme la liste alphabétique suivante  le montre. Si une grande partie des noms qui la constituent sont inconnus et ne correspondent à aucun instrument retrouvé, l'autre permet de redécouvrir de célèbres artistes tels les Hotteterre, Bressan et Rippert, pour ne citer que les plus connus.

Charles Bizey (1685?-1752), reçu maître luthier en 1716, compte parmi les cinq principaux artisans exerçant à Paris en 1752. Dès 1749, il possède une boutique rue Dauphine. Deux instruments de ce facteurs sont connus un alto  en fa et un ténor en ut .


Pierre Jaillard, plus célèbre sous le nom de Bressan, est un des meilleurs facteurs de son temps. Né à Bourg-en-Bresse en 1663, il est apprenti chez Pierre Boissier  de 1678 à 1680, puis nous perdons sa trace. C'est vraisemblablement entre 1680 et 1683, à Paris, qu'il apprend à tourner des flûtes à bec. La ressemblance de ses instruments avec ceux de Rippert laisse supposer qu'ils ont eu tous deux les mêmes maîtres. S'agissait-il de Jean I Hotteterre ou de son fils Jean II, de Nicolas I ou de Louis I ? Rien ne l'indique, mais le style de Bressan est évidemment influencé par la facture française.
 Il s'installe dès 1683 en Angleterre, probablement à l'instigation de Jacques Paisible , comme un certificat de citoyenneté l'indique . Considéré comme le chef de file de la facture anglaise d'instruments à vent, il compte parmi ses élèves et continuateurs Stanesby senior et junior, Schuchardt et Bradbury.
 Bien qu'ayant réalisé la majorité de ses instruments à Londres, il n'était pas possible de l'ignorer, même si ses flûtes ne sont pas mentionnées dans le tableau. Sa production comprend des flûtes de plusieurs tailles, flûte soprano en si b, altos en fa, ténors en ré (ou voice flute), ténors en do et basses en fa. Plus de quarante flûtes sont conservées dans les musées et collections particulières, ce qui montre l'immense talent de ce facteur français établi à Londres.


Philippe de la Vigne, ou Philibert de la Vigne est surtout connu pour ses compositions pour la musette et autres instruments  mais, d'après Constant Pierre , il fut condamné en 1723 puis en 1741 pour avoir fabriqué illégalement 8 musettes, 2 violons, une canne de flûte à bec, une basse de flûte traversière et posséder 55 outils pour leur fabrication. Aucun instrument, à notre connaissance, n'a survécu.


Descoteaux, cité dans le Livre commode de 1692 :

est probablement François Pignon, joueur de flûte douce et de hautbois de la Chambre du Roi et musette de Poitou de la Grande Ecurie .  Aucun instrument de sa signature n'a été retrouvé. Nous savons seulement qu'il exerçait rue du Faubourg Saint Antoine.


Dupuis, dont deux superbes flûtes (un alto et un ténor) sont conservées, fut facteur d'instruments à vent à Paris à la fin du XVIIe siècle. Aucun renseignement ne nous est parvenu à son sujet.


En revanche, il existe de nombreux documents sur les Hotteterre, dynastie célèbre de facteurs et de joueurs d'instruments à vent. Pour cette illustre famille, un autre problème se pose : reconnaître et différencier chacun de ses membres. Dans la plupart des cas, les flûtes retrouvées n'ont qu'une signature évasive : HOTTETERRE ou HAUTERRE... et aucune marque ne permet d'attribuer les instruments à Jean I, Jean II, Nicolas I, Nicolas II, Martin ou Louis I, sauf, quelques rares fois, une initiale , qui peut, elle aussi, être difficile à interpréter. Le L est sans doute le seul signe qui permet d'attribuer la flûte à Louis I Hotteterre, car Louis II, né en 1717, n'aurait pu avoir tourné cette flûte à la fin du XVIIe siècle.
 D'après Thoinan , l'ancre de marine serait la marque de Jean I (1610?-1678?). Ce dernier est le premier facteur connu de la famille, il est cité par Borjon de Scellery :

 Mais fabriquer des instruments ne semble pas lui suffire, puisqu'il participe en tant qu'interprète (flûte à bec, hautbois, musette de Poitou), avec deux de ses fils, à de nombreux ballets de Lully, comme par exemple L'Amour malade (1657), Alcidiane (1658) ou Les Noces de Village (1663). Ce fait est très intéressant, car ce musicien a bénéficié d'un terrain propice à l'amélioration des instruments à vent. Notons également l'avantage notoire d'être à la fois facteur et instrumentiste.
 Ses fils Jean II (1628?-1669), Nicolas I (1630?-1694) et Martin (1632?-1712) sont également réputés pour la facture :  Le premier, habile joueur de basson, de musette et de flûte et membre de la Grande Ecurie comme basse de hautbois, était souvent engagé pour jouer de la musique de scène telle que Le Ballet des Muses (1666), le Carnaval  (1668) ou George Dandin .
 Le second, membre de la Grande Ecurie en tant que dessus de hautbois et haute-contre de violon, fit aussi partie de la Chapelle Royale, à partir de 1668.
 Quant au troisième, son nom figure pour la première fois à la représentation de Serse de Cavalli (1660) et dans tous les spectacles organisés à la Cour qui suivirent. Membre de la Bande des Grands Hautbois, il fut surtout spécialisé dans le jeu de la musette, instrument qu'il sut perfectionner, comme son fils, l'illustre Jacques le Romain, l'écrivit dans la méthode de musette .
 Un des petits fils de Jean I, Louis I (1648?-1720?), fils de Nicolas I, est également reconnu comme facteur. Il est cité dans le Livre commode, en 1692, comme exerçant près de Saint Jacques de la Boucherie à Paris.
 Dans une autre branche de la famille se trouve un autre facteur réputé, Jean IV dit Jeannot ou Jean le Jeune (Fils de Louis 1e Hotteterre, frère de Jean I). Né en 1648 à la Couture-Boussey, il n'arrive à Paris que vers 1671 et apparaît dans Atys de Lully en 1676 aux côtés de Louis, Colin, Jean III et Nicolas I Hotteterre et d'autres musiciens non moins célèbres tels que Philbert, Descoteaux, Piesche, Philidor l'Aîné, Philidor le Cadet et Plumet. Demeurant, d'après Pradel, rue des Fossés-Saint-Germain, il figure, avec Descoteaux,  parmi les :  Les tessitures des flûtes à bec données par Sauveur dans ses Principes d'acoustique  correspondent :  Il s'agit donc d'un facteur important. Pourtant, dans la liste des instruments retrouvés, aucune flûte à bec ne porte de marque distinctive de ce facteur, à moins qu'il ne s'agisse de celle qui comporte une fleur de lis signée HAUTERRE, conservée à Leningrad.
D'autres informations sur les Hotteterre au musée des instruments à vent de La Couture-Boussey.
 

Le dernier des facteurs français, pour lequel nous possédons quelques renseignements, est Jean-Jacques Rippert (1665?-après 1722). Onze instruments sont encore conservés, parmi lesquels une sopranino en sol, unique à notre connaissance. Il est considéré, avec Jean Hotteterre, comme le meilleur facteur d'instruments à vent de Paris, ses flûtes à bec servirent de modèles à Sauveur pour l'établissement des tessitures de chaque membre de la famille. Compositeur, et sans doute instrumentiste, il est l'auteur de sonates pour la flûte traversière  publiées en 1722.
 


Bibliographie

Borjon de Scellery (Charles Emmanuel), Traité de musette..., Lyon, Jean Girin & Barthelemy Rivière, 1672, fac-similé, Genève Minkoff, 1972.

Coutagne (H), Duiffoproucart et les luthiers lyonnais du XVIe siècle, Lyon, Fischbacher, 1893.

Lesure (François), La facture instrumentale à Paris au XVIe siècle, Galpin Society N° VII, Avril 1954.

Pierre (Constant), Les Facteurs d'instruments de musique, Paris, Sagot, 1893, Réed. , Genève, Minkoff, 1976.

Pradel (Abraham du ), Le livre commode des adresses de Paris pour 1692, Paris, Fournier, 1878.

Richard (Agnès), Descoteaux et Rebillé, flûtistes du Roi, Maîtrise, Sorbonne, Paris IV.

Sauveur (Joseph), Principes d'acoustique et de musique, Paris, 1701, Rééd. en fac-similé, Genève Minkoff, 1973.

Thoinan (Ernest), Les Hotteterre et les Chédeville, Paris, Edmont Sagot, 1894, rééd. en fac-similé, Paris, Zurfluh.